ICON de Sidi Larbi Cherkaoui

© Mats Bäcker

Sidi Larbi Cherkaoui a le talent de savoir mêler sur scène des mondes en apparence opposés. Dans Puz/zle, déjà, j’avais pu goûter le mélange des chants corses, porteurs d’une nostalgie lancinante, et de la violence de la pierre – mélange qui m’avait paru rappeler l’âpreté du maquis sous les airs de douceur que renvoie parfois l’île de beauté. Bien sûr, ça n’était sans doute dû qu’à mes affects, mon propre rapport à ces paysages dont j’ai justement toujours chéri la rudesse bien plus que les séductions d’ensemble.

C’est précisément ce qui me paraît puissant dans les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui : du chaos qu’il crée sur scène, il nous laisse tirer nos propres interprétations, se contentant de fournir une infinité de pistes. Le regard, en effet, est incapable de saisir l’ensemble des mouvements produits tant chaque danseur a les siens propres. L’expérience proposée ne peut dès lors qu’être unique pour chaque spectateur. C’est pourquoi je ne veux pas prétendre décrire ce que fut réellement la représentation ICON à laquelle j’ai assistée, mais seulement ce qu’elle m’a fait vivre.

Il me semble que Sidi Larbi Cherkaoui tient à respecter les sensibilités propres et la personnalité de ses danseurs. J’ignore dans quelle mesure ces derniers interviennent dans la constitution des chorégraphies, quelle part est laissée à l’improvisation ou à la pure expression de soi, mais je suis toujours marquée par la puissance de leur présence, par la force avec laquelle ils s’extraient du groupe pour se révéler dans leur époustouflante singularité.

La succession des solos qui ouvre presque la pièce m’a ainsi profondément marquée. Chaque être semblait s’y débattre à sa manière sur les sons du sanshin, comme piégé entre les échos de ces cordes dont la troisième se répercute et résonne jusqu’au fond de la cage thoracique. Et le spectateur, le souffle coupé par ce même son qui le cloue sur son siège, le corps rendu fébrile par son immobilité même, n’a d’autre choix que de vivre pleinement ce que lui racontent les mouvements du danseur, là pour exprimer ce qu’il n’est pas en mesure de dire.

L’innocence monstrueuse du golem m’a tout autant émue. Le voir s’arracher à la terre et se battre contre sa propre matière pour se façonner à l’image des humains qu’il voit défiler ne va pas sans provoquer un certain attendrissement. Les humains passent, légers et insouciants malgré leurs attributs de glaise qui rappellent que tous sont issus de la même boue. Il les regarde, et se tord de plus belle. De poignante, l’expérience devient cocasse lorsqu’il se targue de danser sur Cheap Thrills comme eux, suivant la même chorégraphie qu’eux, avec ses mouvements mal dégrossis. Le comique de la scène se mêle à l’admiration pour la performance du danseur, et pour l’audace de Sidi Larbi Cherkaoui, qui n’hésite pas à nous rappeler que c’est précisément dans la pop culture que, depuis toujours, naissent les mythes.

 

Sources

— Image © Mats Bäcker
La Villette